23 novembre 2006

Aztechs - Lucius Shepard

Je viens de finir un livre intéressant.
Une des conséquences des festivals du type de celui de Nantes c'est que, après avoir fait connaissance avec un auteur, je me sens un peu obligé de lire un de ses bouquins. C'est ainsi que j'ai découvert l'oeuvre de Christopher Priest ou bien celle de Mélanie Fazi. Et ainsi, après avoir rencontré Lucius Shepard, j'ai acheté Aztechs.
Aztechs est un recueil de six longs récits (ou novellas), publié aux éditions du Bélial, dont je discuterais plus volontier le goût en matière que d'illustrations de couverture que la qualité des choix éditoriaux. Six récits, six novellas, c'est déjà un premier charme du livre. Charme de la variété, de la diversité, et en même temps possibilité de se plonger dans des histoires prenantes et pas trop abruptes, des histoires qui vous gardent un long moment.
(je trouve que la novella est un format intéressant, qui relève plus du court roman que de la longue nouvelle. Il s'agit en quelque sorte d'un roman qui n'a pas atteint la taille critique d'un volume de 300 pages, plutôt que d'une histoire condensée à l'écriture ressérée)
Ce recueil illustre avec talent une des vocations des littératures de l'imaginaire : parler avec force de notre monde, dire le fantastique, l'incroyable de la réalité, dire ce qui ne peut pas être dit autrement. Ici, vous aller entendre parler de la frontière américano-méxicaine, du 11 septembre (traité avec délicatesse), du Zaïre de Mobutu, de la russie de Eltsine, de la Virginie occidentale et de Seattle après le cataclysme. Joli voyage, non?
Les histoires de Shepard sont celles de personnages bourrés d'obessions, plus ou moins mal dans leur peau. Des types qui font les sales boulot dans les arrière-cours, ramasseurs de décombres, tueurs à gages. Qui s'éprennent de femmes fantasmatiques et impossibles, qui ne sont peut-être qu'une incarnation de leurs folies. Des types enfin qui se retrouvent, un temps durant, à incarner les malheurs et les souffrances de leur terre, tendus en déséquilibre entre le ciel brûlant et l'enfer. Ces histories reflètent nos temps d'inquiétude, pleins d'énergie et de forces de destruction...
J'ai été séduit par l'écriture de Shepard, que la traduction garde vive et enlevée. Tout ne m'a pas convaincu dans ses intrigues, mais j'ai été à chaque fois accroché, enlevé et secoué avec joie dans les montagnes russes des histoires.
Je vais maintenant les évoquer rapidement, dans l'ordre du sommaire.
Aztechs est un récit enlevé se déroulant à El Rayo, la ville construite le long du mur de lasers qui sépare les Etats-Unis du Mexique. Gangsters, IA, télé-réalité, nano-technologies et pyramides aztèques composent le menu. Le début est fabuleux, la fin m'a moins plu mais le récit contient son lot d'images foudroyantes. Classe.
Dans La Présence, le narrateur fait partie de ces hommes qui travaillent dans la fosse du Ground Zero pour déblayer des décombres. Un récit très pudique, très délicat, sur un sujet des plus casse-gueule. J'ai beaucoup aimé.
Le dernier Testament ne m'a pas séduit. Je n'en dirai pas plus.
Ariel est une curieuse histoire d'écrivain, d'obsession, de poursuite, dans une ambiance un peu X-files. J'admire la capacité de l'auteur à brasser dans un récit cohérent une histoire improbable, mêlant des milliers de mondes et des voyageurs improbables.
Le rocher des crocodiles relève plutôt du fantastique avec un excellent personnage de sorcier dans le Zaïre empoisonné d'après Mobutu. L'ambiance en est étrange et inquiétante, très réussie.
Dans l'Eternité et après, enfin, on se retrouve dans une bizarre boîte de nuit moscovite, avec des clochards, des femmes très belles, des gangsters, des assassins et une rose sur un plateau. Malgré d'étranges circonvolutions, ce texte m'a beaucoup plu, c'est peut-être même mon préféré du recueil.

Shepard me paraît capable de réussir un truc délicat: nous parler de manière crédible du Mexique, du Zaïre ou de la Russie (et de choses qui, dans ses récits, paraissent relever de l'essence de ces pays), sans être ni Mexicain, ni Zaïrois, ni Russe. Je me demande maintenant ce qu'en penseraient effectivement des ressortissants des terres en questions.

Quoi qu'il en soit, je conseille vivement ce recueil, un excellent stimulant pour l'imagination !

20 novembre 2006

Pierre Loti - fantômes d'Orient

Nous avions donné rendez-vous à une amie au musée de la vie romantique, pour visiter l'expo sur Pierre Loti.
Je ne connaissais pas grand chose de cet auteur, qui avait pour moi une vague réputation de littérature facile et d'exotisme colonial. L'exposition, à travers un joli aménagement et la présentation de nombreuses peintures et de photos, tente d'évoquer le rêve oriental de Loti, cet orient fantasmé aperçu à travers le prisme des peintres et des voyages.

Delacroix, étude de babouches
On y voit bien sûr quelques petits cadres de Delacroix (études, dessins - je reste stupéfait par l'énergie et l'intensité du travail de ce peintre), quelques tableaux un peu kitsch et un grand nombre de belles réussites onirique.
Yvan Aivazovsky - Constantinople, la mosquée de Tophane
Qu'on soit bien d'accord, on ne parle pas dans cette exposition de l'orient réel, du maghreb colonial et de la turique pré-kémaliste. On est là dans un monde de femmes sensuelles qui fument du hashisch, de mosquées infiniment fines dans les brumes du matin, d'Arabes au visage fier s'élançant dans le désert... Un monde couleurs tranchées, de ciels brûlants et de troublantes jeunes beautés au genre indéfini.
Charles Zacharie Landelle, Jeune bohémien(ne) serbe
Un monde d'illusions, certes, mais d'illusions bien construites, qui faisaient partie du monde intérieur de Loti. Les photos de l'aménagement intérieur de sa maison de Rochefort, les photos de Loti habillé en Oriental, et ses étranges regards (on imagine bien que ces yeux-là faisaient chavirer les femmes...), tout cela témoigne de l'incarnation de ces illusions, de ces rêves, dans lesquels l'écrivain était allé vivre, sans jamais s'y perdre, comme le rappelle le dépouillement sa chambre.
Loti, en oriental, par Lucien Lévy-Dhurmer
Peut-être me lancerai-je bientôt dans la découverte de sa littérature. Et cela nous a donné envie de partir enfin visiter Istambul / Constantinople...

Au sujet de l'expo, je recommande la lecture de ce bon article, qui la présente très bien et qui m'a fourni mon iconographie.

16 novembre 2006

La fontaine pétrifiante


Puisqu'on parle de Priest (voir le billet précédent)...
Je viens de finir la fontaine pétrifiante, un roman un peu ancien de l'auteur, qui m'avait été recommandé par Sébastien Guillot.
L'histoire (pour peu qu'il y en ait une) est quasiment inracontable, sinon ainsi : un jeune homme un peu paumé (sortant d'une rupture) s'isole dans un cottage pour y faire du bricolage et décide de faire le point en écrivant une sorte d'autobiographie à usage personnel. Mais il se rend rapidement compte que pour écrire la vérité sur ce qui le concerne, il est obligé de recourir aux artifices de la fiction et d'un monde imaginaire, l'archipel du rêve (oui, le même que celui du recueil du même nom, ma prochaine lecture de Priest). Et le roman va nous mener de cet homme qui écrit au même homme, embarqué sur une croisière dans l'archipel du rêve...
Ce livre est une fascinante récrit sur l'écriture, la rêverie, les mondes imaginaires, la façon dont ils nous soutiennent. Il est évidemment autobiographique et évidemment faux. Il décrit des comportements névrotiques dans lesquels je me reconnais parfaitement (la relation de l'auteur et de son manuscrit...), comprend des passages très doux, très beaux, dans l'archipel du rêve, quand les bateaux glissent le long des îles et sont parfois illuminés par les lumières des ports, et aussi quelques bavardages et pensées solipsistes un peu ennuyeuses.
C'est un roman labyrinthe, plein de reflets de reflets, d'illusions nées d'illusions. La fiction s'invite dans le monde réel, tout naturellement, puisqu'il n'y a pas de fiction, juste des voies différentes pour dire la vérité. Je m'y suis perdu à mon tour, je n'ai pas cherché à comprendre, j'y étais bien.

Le Prestige




Hier soir, nous sommes allés voir le Prestige, d'après le remarquable roman de Christopher Priest.
En quelques mots, l'histoire raconte la rivalité violente entre deux prestidigitateurs (Angier et Borden) dans l'Angleterre du XIXème siècle, autour notamment d'un étonnant tour de téléportation, "l'Homme Transporté".
J'avais adoré le roman, un vertige tout à fait Priestien sur la dualité des points de vue, sur la magie et l'illusion, avec un élément science-fictif tout à fait fascinant, et je doutais un peu de la possibilité de l'adapter finement au cinéma. Mais la transposition à l'écran m'a tout à fait convaincu.

Le scénario, notamment, est finement écrit. Retenant l'esprit du roman et beaucoup de ses situations fortes, il élague l'intrigue (oubliés, les passages au 20ème siècle) et en fait une histoire de cinéma (ce que ne faisait pas, selon moi, le scénario du Seigneur des Anneaux). Il ne s'agit pas d'une adaptation pour les fans, mais de la création d'un véritable film, et tant mieux. Je connaissais naturellement les principales astuces de l'histoire, mais je ne me suis pas ennuyé un instant, tant la construction narrative est intéressante.
Les acteurs incarnent avec une grande force les personnages, les font vivre, rendent crédible l'étrange combat qui les anime. J'aime notamment beaucoup les prestations des deux acteurs principaux (Christian Bale et Hugh Jackman), ainsi que celle, étonnante, de David Bowie. Je les aime d'autant plus que ce n'est pas les acteurs qui m'ont séduit mais vraiment les personnages.
La mise en scène ménage quelques très belles trouvailles (les ampoules, la boîte) et réussit cette gageure de filmer les tours de prestidigitation de manière dramatique et intéressante.
Bref, on comprendra que j'ai beaucoup aimé.

Maintenant, ce très bon film (bons acteurs, bonne histoire, bonne réalisation) n'est pas un chef d'oeuvre. Non pas à cause de ses quelques défauts, mais plutôt par manque de coup de génie cinématographique. Le sujet du Prestige (l'illusion, le prestige justement...) est un merveilleux sujet de cinéma et il manque un peu de folie à ce beau film pour que nous soyons pleinement soufflés et illusionnés...
Photos © Warner Bros. France

07 novembre 2006

Rouge Brésil - JC Rufin


L'avantage de devoir se documenter sur un sujet, c'est qu'on peut lire toutes sortes de bouquins (même mauvais) sous prétexte de s'enrichir sur le sujet d'intérêt du moment.
Par exemple, en ce moment, puisque nous jouons du jeu de rôle se déroulant durant les guerres de religion, j'ai emprunté sans scrupules Rouge Brésil, de JC Rufin, à ma maman, qui se rajoute à ma longue liste de lectures "pour trouver des idées de scénarios".
De ce point de vue là, la lecture est un succès. Rouge Brésil est plein de "portraits tracés sur le vif" et de situations romanesques intéressantes. Je rêve d'en faire une petite série de scénarios.
De quoi est-il question? Le roman raconte la (tentative de) colonisation française du Brésil. Un échec flamboyant, à la mesure des moyens investis. Une histoire séduisante, aussi, pour les amateurs d'uchronies (et si les portugais n'avaient pas pris Fort Coligny? Rio de Janeiro se serait-elle appellée Genèbre ou Henryville?). Expéditions en bateau, famines, rencontres avec les trafiquants, les indiens, intrigues politiques, confrontations religieuses... Un beau résumé du "second seizième siècle", celui où les idées nouvelles virent aux idéologies (il y a notamment un tour de force : une très bonne présentation, concise, exacte et compréhensible, des divergences de foi entre catholiques et calvinistes). L'histoire est vue par les yeux de deux jeunes gens, Just et Colombe, qui vont naturellement nous présenter des points de vue différents et opposés sur ces tragiques évènements.
L'affaire est bien menée, le roman est sans longueurs et se lit aisément. De nombreux chapitres paraissent presque déjà écrits pour le cinéma et offrent un point de vue très "visuel". Il y a de l'action, des complots, de l'humour, en veux-tu, en voilà.
J'ai beaucoup d'affection pour le personnage de Villegaignon, chevalier de Malte, humaniste encore plongé dans le moyen âge et chef tonitruant de l'expédition. C'est le personnage le plus attachant de tous, et j'avoue être un peu déçu par son retournement psychologique final. Mais c'est du détail.

Le roman contient aussi quelques scènes d'une grande poésie, je pense notamment à la scène de la rencontre de Colombe avec les Indiens, que j'ai trouvée très belle et qui forme, je le sens, le coeur émotionnel du livre, l'axe autour duquel il tourne.
Quelques points moins flatteurs, maintenant. Je trouve l'auteur un peu roublard: il prend avec cette affaire un point de vue distancé, utilise pas mal de "trucs" de romancier, comme pour permettre au public lettré et au Jury Goncourt de bien voir la fable derrière le roman d'aventures, de bien distinguer qu'il s'agit d'un livre sérieux et non pas d'un divertissement. J'en prends pour témoin de nombreuses remarques ironiques posées sur les personnages secondaires, invitant le lecteur à sourire d'eux depuis son fauteuil pendant qu'eux survivent tant bien que mal dans la jungle. Stevenson n'aurait pas fait ça. On n'est pas dans l'aventure, on est invités à rester prudemment dehors. Ben oui, monsieur, c'est quand même de la littérature.

Les gravures sont extraites d'un compte-rendu d'expédition de l'époque, mais je ne sais plus si c'est celui de Jean de Léry ou celui de Thévet. Et je me demande si elles ont été dessinées "d'après le naturel" ou d'après des descriptions...

06 novembre 2006

Utopiales 2006 à Nantes


Nous voici donc de retour d'une expédition nantaise, au festival des utopiales. Nous y sommes restés le vendredi et le samedi, le temps de bien s'imprégner de l'atmosphère.

Loin de moi l'idée de faire un compte-rendu exhaustif d'un séjour qui fut assez riche. Notons que:
  • Il faisait très beau, avec un ciel très bleu, un air froid et pur. Ce fut un plaisir de se promener dans le jardin des plantes, au pied de la cathédrale, et d'aller acheter du thé dans le joli salon de thé non loin.
  • Le festival est toujours aussi riche (apparemment) et impressionnant. Toute ces grandes salles pour la SF en France ! Boudiou ! Les auteurs étrangers avec lesquels j'ai discuté étaient drôlement impressionés et je les comprends.
  • Côté auteurs, d'ailleurs, j'ai eu le sentiment d'être fort bien accueilli par les gens du NIFF qui prenaient en charge l'organisation artistique. Hôtel agréable, planning clair, sentiment très net de n'être pas abandonné à soi-même (merci Violaine et Olivier). Et c'était vraiment drôle de retrouver partout à l'organisation des suisses de Neuchatel.
  • Le bar était ouvert au public... Grand progrès ! Certes, toujours aussi enfumé, mais tellement plus convivial !
  • Le petit "salon du livre" SF était très bien achalandé, les dédicaces bien organisées, les libraires très gentils. Malgré toutes nos fermes résolutions, j'ai fait quelques emplètes : la fontaine pétrifiante (Priest), Aztechs (Shepard), Bifrost 44 (par narcissisme, sans doute), le vent dans les saules (déjà lu, mais l'édition était si jolie...).
  • Le recueil Utopiae (distribué aux invités à l'entrée) est un bon recueil de nouvelles éclectiques. Sur les 10, 5 sont vraiment intéressantes (la japonaise, la serbe, la bulgare, la basque et celle d'Ursula le Guin). Les autres sont incompréhensibles ou oubliables (à mon goût). Un score tout à fait honorable.
  • Je discerne toujours dans ce genre de salon une tendance un peu prétentieuse du monde de la SF, un goût un peu mélancolique à contempler son histoire. Tout ça ne m'intéresse pas beaucoup, mais ne me gêne pas non plus. Je m'y sens un peu étranger. Les tables rondes ne me convainquent pas beaucoup, mais elles avaient du public et j'ose supposer que ce n'était pas seulement parce qu'il y avait des fauteuils confortables et que c'était en plein milieu de la grande salle.
  • Quelques animations chouettes : expos d'affiches et sur les voitures volantes. Installations avec extraterrestres. Robots rigolos et agaçants.
  • Le match de Chess Boxing ! Le concept est limite absurde, mais le fait de voir apparaître sur scène un rêve de Bilal et la conviction des combattants et commentateurs m'ont beaucoup amusé. C'était un très bel évènement !
  • Et surtout, le plus grand plaisir du salon, le fait de pouvoir faire connaissance et bavarder plus ou moins longtemps avec tout plein de gens gentils, sympathiques et intéressants. Lucius Shepard, Javier Negrete, Mélanie Fazi, KJ Bishop, Ayerdhal, JC Dunyach, Norman Spinrad, Michel Pagel, Patrick Gyger, Fabrice Colin, Xavier Mauméjean, Matthieu Walraet, les noospheriens réunis, et tous les aimables lecteurs venus bavarder un peu et m'écouter dans ma tentative de lecture...
  • Et envie de lire plein de livres achetés ou vus là-bas. J'ai bientôt fini la Fontaine pétrifiante, de Priest, j'en reparlerai.


Les photos du chess boxing sont (c) rené-marc dohlen (je ne mets pas de majuscules, à cause du Goût de l'immortalité)