16 février 2009

Dehors les chiens les infidèles - Maïa Mazaurette

Tout de suite, le titre m'a séduit. Et la couverture, certes pas de très bon goût, avec cette sorte de templier sur fond rouge...
Voici un livre pas évident à chroniquer, car il a plein de qualités et de défauts que j'ai du mal à départager. Commençons par les qualités : je l'ai abordé avec un intérêt curieux, j'ai eu un peu de mal à accrocher puis je me suis laissé prendre par l'histoire (alors que je suis un affreux blasé et que la fantasy me fatigue très vite) et j'ai eu du mal à le lâcher car je voulais connaître la fin. 
Puis le livre aborde, vraiment, le sujet de la religion et du christianisme dans le cadre d'un univers imaginaire, et c'est un des sujets les plus casse-gueule qui soit - on rappellera que Tolkien, catholique convaincu, avait soigneusement évité de s'y frotter. Non que ce soit un livre à thèse qui mette en scène les dérives du fondamentalisme, comme le prétend abusivement le 4' de couverture. Le livre met surtout en scène son propre univers, pour servir une plutôt bonne histoire, et cette humilité me plaît bien. Je me réjouis surtout de voir éviter pas mal de clichés (le christianisme opposé au monde celtique et aux petites fées - ai-je déjà dit que j'avais horreur des fées?). On y voit une église pleine de corrompus et de psychopathes, mais aussi des personnages soutenus et grandis par leur foi, comme Spérance et Astasie (le détail amusant est que cette dernière fait aussi partie de la première catégorie).
Dans un décor franchement glauque et très gore (on s'y étripe beaucoup, voire même un peu trop pour mon pauvre coeur) Dehors les chiens... montre aussi, et c'est assez rare, des images du merveilleux médiéval chrétien - miracles, tapis de fleurs, armes resplendissantes, croix de lumière se dessinant dans le ciel. Et tous les signes restent des mystères, que chacun interprétera comme il le veut.
Je reconnais volontiers que le mélange héros adolescents-épuration éthnique-miracles chrétiens-membres coupés-inquisition-mutants (et j'en passe) est un peu de mauvais goût, mais l'auteur a du culot, et ça passe. J'aime bien les livres qui osent. Et puis les noms sont bien trouvés, ce qui n'est pas si fréquent. Parmi les autres qualités, les personnages principaux sont attachants, en demie-teinte et leur comportement m'a plusieurs fois agréablement surpris.
A côté de cette audace et de ses bonnes idées, le roman lui-même ne manque pas de défauts, stylistiques notamment. La cohérence des points de vue est franchement bizarre, le traitement de la psychologie des personnages souvent malhabile. Les seconds rôles (le roi, la cour d'Auristelle...) sont taillés au hachoir et ne dévient pas du portrait en deux lignes qui est fait d'eux. La narration flotte par moments (au début, notamment), certains dialogues sont assez bavards, etc...
Reste un livre à la sensibilité originale, bien mené, intéressant. Les Quêteurs sont de beaux personnages que j'ai eu plaisir à suivre, parce qu'ils se posent des questions, se trompent souvent et essaient de changer le monde.
Une vraie découverte !

PS : encore un détail à porter au crédit de ce livre : il est court (300 pages) et c'est un one-shot, pas une série ! (idéal pour les gens comme moi qui n'ont pas le temps...)
PPS : la chronique que Pascal Patoz fait du roman est très bien, elle dit des choses que j'aurais aimé dire. Moi aussi, je me méfie des quêtes.

04 février 2009

L'évangile selon Pilate – E.E. Schmitt.

Voici la suite de mes notes sur mes lectures récentes...

Et tout d'abord, merci à Laurent B. de m'avoir prêté ce livre très intéressant.

Dans une première partie, l'auteur prend la voix d'un certain Yeshoua, de Nazareth, qui repense à sa vie avant de se faire arrêter par des soldats au jardin des Oliviers. On y apprend comment celui que ses fans appellent « le Messie », voire « le fils de Dieu », perçoit sa propre existence.

Dans la deuxième partie, on lit le journal écrit par P. Pilate, préfet romain en Judée, qui enquête sur la disparition du cadavre – suite à sa crucifixion - du même Yeshoua, agitateur politico-religieux notoire. Abordant toutes les hypothèses (cadavre volé, Yeshoua pas mort, etc.), Pilate rencontre les puissants du temps (le grand prêtre, Hérode, etc.) et cherche à comprendre l'incompréhensible.

On le voit, l'auteur s'est attaqué à un beau sujet – la rencontre Pilate/Yeshoua occupe d'ailleurs quelques pages du Maître et Marguerite, et Boulgakov en fait un moment à la fois hilarant et touchant. Contrairement à Boulgakov, Schmitt est un monsieur sérieux, il a lu les évangiles (pas un épisode ne manque dans son récit, belle synthèse), il a lu des textes de référence sur le Jésus historique, il a sans doute lu Flavius Josèphe, et ça se voit.

Et justement, ça se voit. A aucun moment, le livre ne dépasse le niveau d'un travail de compilation appliqué et peu inspiré. La première partie est la plus réussie, donnant une cohérence psychologique et factuelle « moderne » (un peu artificielle?) à la vie de Jésus, même si ce texte a de nombreuses limites. La « confession » de Yeshoua obéit à une convention romanesque triviale : Yeshoua se remémore sa vie parce qu'elle défile devant ses yeux, parce qu'il va mourir et parce que ça arrange bien l'auteur. Il se remémore pile poil tout ce qui se trouve dans les évangiles, plus deux ou trois faits inventés par l'auteur afin de lui donner une cohérence psychologique. Le rapport que fait Schmitt de la communion de Yeshoua avec son « Père » (un fait important, concernant le personnage, on voudra bien le croire), décrit comme une plongée dans un « puits de lumière » est remarquablement pauvre, alors que la littérature mystique offre des images bien plus fortes d'une telle sorte de rencontre (lire Rumi et ses quatrains amoureux, ou les folies mystico-érotiques de Thérèse d'Avila, pour le peu que j'en connais.)

La partie sur Pilate est encore plus laborieuse. Les lettres/journal de Pilate à Titus sont de la pure convention romanesque, sans aucune épaisseur ni vraisemblance, et plombent complètement ce récit très artificiel qui explore, une à une, les thèses classiques sur la prétendue résurrection du protagoniste. Même si, là aussi, la synthèse des principaux éléments à connaître sur l'époque (troubles politiques, sectes juives, philosophes grecs...) est très réussie.

La vision que donne Schmitt de Yeshoua me paraît très édulcorée, comme une gentille leçon de catéchisme tournée vers un lecteur pas très futé, à qui il faut tout expliquer avec des mots simples et qu'il faut surtout éviter de choquer. L'épisode de la transfiguration est reporté à après la résurrection, ce serait trop bizarre de le mettre avant, comme l'ont fait ces évangélistes pas très doués, et les paroles les plus dures de Jésus, ses prédictions apocalyptiques, «Pensez-vous que je sois venu mettre la paix dans le monde ? Non, je vous le dis, mais plutôt la division. », etc, sont tout juste évoquées, comme s'il fallait éviter de secouer le chrétien, ni d'effaroucher le non-croyant. Bref, un Jésus à l'aspartame et au goût marketé, facile à boire, vite oublié.

En cela, on rejoint mon sentiment plus général sur les livres d'E.E. Schmitt que je connais : un bon sujet, quelques idées, de la documentation, le tout écrit avec des moyens littéraires indigents, dans le but d'en faire un livre conventionnel et facile à avaler par le lecteur – est-ce une des raisons de son succès ?

Et toi ami lecteur, amateur de Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, de Oscar et la dame rose et de la part de l'autre, es-tu d'accord avec moi ?


L'accroissement mathématique du plaisir – Catherine Dufour


Ces dernières semaines ont été plutôt chaotiques, peu de sommeil et des soucis. Maintenant que la situation se rétablit, et en attendant, peut-être, le bilan de mes lectures 2007 2008, je commence dans ce petit billet la chronique de quelques livres lus récemment dont j'avais envie de parler.

L'accroissement mathématique du plaisir – Catherine Dufour

J'avais dit ici mon enthousiasme (et mes quelques réserves) sur l'excellent roman de Catherine Dufour, le goût de l'immortalité. J'ai donc entamé avec intérêt la lecture de son recueil de nouvelles paru aux éditions du Bélial sous une couverture de Caza. Recueil n'est pas un vain mot puisque ce livre contient vingt textes de madame Catherine, dans des tons et des atmosphères tout à fait variés et éclectiques. Pochade humoristique (je ne suis pas une légende), conte breton (Mater Clamorosum), imitation d'Edgar Poe (Confession d'un mort), science fiction bizarroïde, hommage bédéesque à l'univers de Troll de Troy, fantastique gothique, truc encore plus bizarre (Kurt Cobain contre Dr. No), weird fantasy urbaine(tm) (l'immaculée conception). On a donc là une boîte de chocolats aux goûts variés, j'en ai aimé certains, mais pas tous.

Pour partir des limites du livre, je dirais même que ce recueil souffre de sa conception. Les textes qui s'y trouvent sont d'un intérêt extrêmement variable, et si aucun n'est mauvais, certains m'ont arraché quelques bâillements et j'ai sauté quelques pages pour voir si le suivant serait plus séduisant. Si le livre n'avait contenu que les cinq ou six meilleures nouvelles, je me serais enthousiasmé. On fait dans ce livre la découverte des différents essais de trajectoire d'un écrivain très doué, on y découvre comment Catherine Dufour s'est essayé à tous les genres, comment elle a réussi dans certains et été tout à fait honorable, sans plus, dans d'autres. Un peu de tri, selon moi, n'aurait pas fait de mal.

Une autre limite du livre : l'auteur est très douée pour planter des univers (la fac polluée de Vergiss mein nicht ou la collectionneuse d'icônes de Valaam), mais, pour ces derniers textes, le format très court de la nouvelle m'a fait ressentir une certaine frustration : après la mise en place des ces personnages, de ces décors auxquels je me suis attaché, j'ai trouvé les histoires un peu pauvres.

Restent quelques textes tout à fait mémorables, ceux du recueil idéal que je composerais en arrachant les pages surnuméraires. Dans ce livre, je garderais :

l'immaculée conception [1] – si ce texte ne surprendra pas tellement les femmes ayant été enceintes, j'ai trouvé très fort et touchant le portrait de Claude, être humain aux frontières du néant.

Le jardin de Charlith – un texte, très beau, dans la veine gothique d'Edgar Poe, une vraie nouvelle avec une vraie chûte.

Confession d'un mort – un hommage à Poe, très réussi, j'ai adoré. Ce texte aurait été glissé dans le recueil de Poe que je suis en train de lire, je ne sais pas si je me serais aperçu de l'intrusion.

La liste des souffrances autorisées – dialogues bien frappés dans des restaurants virtuels, description de V-nourriture aux allures hallucinantes, plein d'idées et de trouvailles.

Vergiss mein nicht – malgré la forme un peu courte, là encore un beau portrait d'univers déglingué.

L'accroissement mathématique du plaisir – là aussi, un très bon récit de science-fiction, qui donne à voir au lecteur un chef d'oeuvre inimaginable et inventé.

Valaam - ambiance pourrie et mafieuse dans la russie contemporaine, autour des icônes du coin rouge. Malgré un récit un peu court, j'ai trouvé le ton et le personnage de ce texte particulièrement forts.

Je n'ai pas le recueil sous la main alors que j'écris ces mots, les nouvelles que je mentionne sont donc celles dont je me souviens au bout de quelques semaines, au risque d'ailleurs de m'être trompé sur leurs titres. Malgré mes réserves, ces sept textes-là valent de lire le livre et justifient largement que je m'attaque au futur Outrage et Rébellion. Et vous, quelle est votre top 7 de l'AMdP [2] ?

[EDIT] je me suis rendu compte, en reprenant le livre hier soir, que je n'avais pas lu Mémoires mortes, un joli texte plein d'idées. Je l'ajouterais volontier dans le top 7, comme numéro complémentaire [/EDIT]


[1] l'histoire semble faire référence à la conception mystérieuse d'un certain J.C. dont je parlerai dans une note ultérieure, mais il est amusant de constater que l'expression théologique renvoie en fait à la conception de la mère du même.

[2] l'Accroissement Math... etc.