19 janvier 2011

Roman à facettes / à la recherche d'une nouvelle terminologie

Quelques réflexions inspirées par la lecture des soldats de la mer (et de quelques autres livres récents)

Je lis des livres que je classe comme des romans. D'autres comme des recueils de nouvelles. Comment classeriez-vous les livres suivants ?
(je suis un peu injuste envers mes lecteurs de parler de Wastburg. Parce que le livre n'est pas publié. Mais ce que j'en dis suffira, j'espère, à étayer mon propos)

Revenons-y un instant :
Dans Yama Loka, on a 3 fois 7 textes parlant tous, de près ou de loin, de la cité de Yirminadingrad, en Europe de l'Est, au tournant du millénaire. Il n'y a aucun arc narratif reliant les textes même si la position de certains d'entre eux dans le recueil a son importance et que le recueil est ordonné. Les informations et les visions présentées de la ville sont incohérentes : parfois Yirminadingrad paraît être une ville ultra moderne à la façon de Londres ou Berlin, parfois c'est le théâtre d'une guerre civile, d'une avant-garde artistique, d'une catastrophe...
Dans l'archipel du rêve, une dizaine de textes prennent place dans ce lieu précis de l'imaginaire de Christopher Priest. Un univers en marge d'une certaine Europe des années 60, des îles, des contingents inconnus mais reliés d'une façon ou d'une autre à notre monde (de quelle façon ? Tout est là...). Là aussi, les textes ne sont pas tout à fait cohérents. Dans l'un d'entre eux, la guerre est censée avoir commencé il y a des siècles, dans d'autres elle paraît plus récente. Selon certains textes elle a lieu sur le continent Nord ou alors sur le continent Sud, etc.
Dans les soldats de la mer, ont lit plusieurs dizaines de récits mettant en scène des soldats de la Fédération. Un certain flou quant à l'univers subsiste dans certains textes (le tout premier, ainsi que l'histoire des engoulevents) : le récit pourrait porter sur des guerres oubliées de notre Europe, ou de la Vieille Europe (je reparlerai un jour de ce concept). Pour le reste, un para-texte (les extraits des chroniques de la Fédération), des allusions dans le cours des textes ainsi que le texte de conclusion mettent en place l'histoire d'un monde alternatif, celui de la Fédération, qui est clairement une Europe imaginaire, parallèle, sans christianisme, une sorte d'uchronie onirique.
Dans Wastburg, on a aussi une quinzaine de nouvelles mettant tous en scène des soldats de la garde de Wastburg. Leurs petites aventures, plus ou moins minables, donnent un long aperçu de la ville. Et là, contrairement aux livres précédents, on a une structure romanesque habile puisque, à travers la multiplication des points de vue, on aperçoit une intrigue plus générale de laquelle les personnages principaux n'ont qu'une vision partielle.
Je distingue un point qui rapproche ces quatre livres, et qui les sépare d'un recueil comme Janua Vera, de J.P. Jaworski. Janua Vera est un recueil de nouvelles toutes situées dans le même monde médiéval fantastique "classique". Les nouvelles sont intéressantes pour elles-mêmes et le livre ne fait que les rassembler. En tous cas (on me détrompera peut-être), je ne distingue pas de projet d'ensemble auquel le livre pourrait correspondre. Les quatre livres que j'ai cités au-dessus ont un projet d'ensemble et une cohérence interne, qui est essentiellement liée au fait que les histoires qui les composent sont sises dans un même univers. (tiens, je pourrais rattacher la Cité des Saints et des fous, de Jeff Vandermeer, et aussi, peut-être, The Etched City, de Kirsten Bishop, dont le projet romanesque me paraît relâché, à côté de l'intérêt de chaque partie prise individuellement)

Voici ces projets, tels que je les comprends (ils sont d'un intérêt littéraire varié. Mon idée n'est pas ici de les classer, juste de les décrire):
Yama Loka : portrait d'un ailleurs qui est le reflet éclaté et brisé de notre monde. Un lieu qui concentre nos folies.
L'archipel du rêve : décliner un jeu sur la perception, les fantasmes et les façons dont nous saisissons la réalité. L'archipel, avec son éclatement, est le lieu des histoires et des mensonges et sans doute une forme de portrait intérieur de l'auteur.
Les soldats de la mer : développer la poésie du soldat hoffmanien. Bottes cirées, pistolets d'arçon, discipline, fières moustaches et fantômes. Projet secondaire : imaginer une autre Europe.
Wastbug : une sorte de roman noir de fantasy, mettant en jeu toutes les couches sociales, du plus grand aux plus petits, et insistant sur les plus pauvres, les minables et les imbéciles attachants.

Bara-Yogoi.jpgDonc oui, ces quatre livres sont, techniquement, des recueils de nouvelles. Non, ce ne sont pas vraiment des romans (sauf peut-être Wastburg). Mais les qualifier simplement de recueils de nouvelles (à la façon des recueils de Maupassant, ou des Fictions de Borges, ou des nouvelles de Flannery O'Connor...) me paraît réducteur. Le terme fix-up ne correspond pas exactement non plus. Dans le titre de ce post, je parle de roman à facettes, histoire de proposer un nom, qui ne me satisfait pas moi-même.
D'où ces questions, chers lecteurs :
- voyez-vous le même point commun que moi entre les livres que je rapproche ?
- en connaissez-vous d'autres correspondant à cette définition ?
- oseriez-vous écrire "roman" sous le titre ? Ou alors "nouvelles" ? Ou avez-vous un autre terme à proposer ?

La question m'intéresse bien sûr dans un but très personnel, ne serait-ce que pour pouvoir décrire ce sur quoi je travaille en ce moment. "tu vois, ce sont des nouvelles, mais pas que. Elles sont liées les unes aux autres... Mais ce n'est pas vraiment un roman." Pour ajouter une petite note personnelle et rigolote : le livre CLEER a été sous-titré une fantaisie corporate: 1) parce que c'était un terme rigolo. 2) parce que sinon il aurait fallu écrire "roman" sous la couverture, et qu'une partie au moins des auteurs trouvait que ce serait tromper le lecteur.

 Dans un prochain post, je m'efforcerai de parler de la Vieille Europe, un autre concept qui m'est cher.

18 janvier 2011

Les soldats de la mer – Yves et Ada Rémy

Chroniques illégitimes sous la Fédération


Comme je l'ai dit, je dois cette lecture à Hugues Robert  qui m'a enfin décidé à me procurer ce livre, publié chez Juillard en 1968 avant plusieurs rééditions hideuses (voir sa fiche sur noosfere) aux couvertures inappropriées.
Ce livre donc: à la fois admirable, étonnant et singulier. Il pourrait s'agir d'un recueil de nouvelles (je reviendrai là-dessus dans un prochain billet), de récits d'aventures militaires et fantastiques, entre le merveilleux et le gothique. Les héros en sont les vaillants dragons, grenadiers, hussards, chevau-légers et enfants perdus de la Fédération.

Nous sommes au XIXème siècle, la Fédération affronte de multiples ennemis dans des guerres confuses, s'étend, se renforce, jusqu'à l'Orient, jusqu'à l'Occident... Nous ne sommes pas au XIXème siècle, nous sommes ailleurs, mais où? Rien ne relie ces histoires sinon une chronologie, un contexte assez lâche et l'intuition d'une relation mystérieuse entre le monde de la Fédération et le notre. Et qui sont ces Soldats de la mer du titre?
Des héros militaire, des mystères, des fantômes, des doubles, des jouets enchantés, des forts hantés, des spectres hantant les champs de bataille, des statues animées. Le registre fantastique est classique et séduisant, il m'a fait songer aux oeuvres de Léo Perutz. La langue, elle, est précise et élégante, parfois enchanteresse.
Le sergent von Nassau, des Dragons de Lauterbronn, reçut l'ordre de se rendre par ses propres moyens à Marienbourg. Il glissa son billet de mission dans son gilet, salua sans un mot. Longtemps encore on eut le claquement de ses bottes noires dans les immenses couloirs dallés. Ayant rejoint ses quartiers, il fit ses préparatifs et mit la dernière main au harnachement de son cheval. Les instructions qu'il devait communiquer à la garnison de Marienbourg étaient gravées dans sa mémoire.
J'ai lu ces lignes, je n'ai plus voulu quitter ces soldats.

J'essaierai dans un prochain billets de préciser certains des sentiments inspirés par ce livre.



14 janvier 2011

Lorelei au vitriol

O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries 
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

 Allemagne. un bateau transportant de l'acide chavire sur le Rhin, deux disparus

Un navire transportant de l'acide sulfurique fait naufrage sur le Rhin a deux pas du rocher de la Lorelei. On laisse les rêveurs imaginer le rôle que la nymphe joua dans cet accident.

Mais les amateurs d'alchimie n'auront pas manqué de voir dans cette histoire de troublants échos. Car les anciens appelaient l'acide sulfurique Vitriol, un élégant acronyme invitant à visiter l'intérieur de la terre pour trouver la pierre cachée.
Et si nous lisions ainsi cette devise alchimique ? Lege, Ora, RElegge Labora Et Invenies ? (Lis, prie, relis, travaille et tu trouveras.)
Quel curieux complot aura précipité à l'eau ces malheureux marins ?

Loreley: peinture du passé

Et pour une dernière rêverie...

Ich weiß nicht was soll es bedeuten,
Dass ich so traurig bin;
Ein Märchen aus alten Zeiten,
Das kommt mir nicht aus dem Sinn.

Die Luft ist kühl und es dunkelt,
Und ruhig fließt der Rhein;
Der Gipfel des Berges funkelt
Im Abendsonnenschein.

Die schönste Jungfrau sitzet
Dort oben wunderbar;
Ihr goldenes Geschmeide blitzet,
Sie kämmt ihr goldenes Haar.

Sie kämmt es mit goldenem Kamme
Und singt ein Lied dabei;
Das hat eine wundersame,
Gewaltige Melodei.

Den Schiffer im kleinen Schiffe
Ergreift es mit wildem Weh;
Er schaut nicht die Felsenriffe,
Er schaut nur hinauf in die Höh.

Ich glaube, die Wellen verschlingen
Am Ende Schiffer und Kahn;
Und das hat mit ihrem Singen
die Lorelei getan.

04 janvier 2011

La pluie, extérieur jour



La femme du débile a une incroyable paire de loches, deux planètes qui bougent et tremblent dans son chemisier de soie sauvage. Elle me regarde de derrière ses petits yeux, ses trous d'eau, comme si elle cherchait à m'épingler.



Cet épisode montre bien qu'il ne faut jamais se fier à personne. Il s'agit d'un extrait du livre Yama Loka terminus, dont j'ai parlé ici.

Ici, quelque chose de brun/beige qui pourrait être le site officiel du livre. La publication de cet extrait est illégale, je n'ai demandé l'avis de personne. Longue vie au parti de la Vérité, mort aux fous et aux traitres.


Les ennemis du RSS et ceux qui ignorent ce sigle pourront s'abonner par e-mail dans la colonne de droite de cette page.

Télécharger l'enregistrement en mp3.



Générique : extrait de Fridj, par Norn. Tous droits réservés.


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Lectures 2010

L'heure des bilans a sonné. Je fais un petit point sur mes lectures de l'année précédente et je constate, tout comme l'an dernier, qu'elles sont misérables par leur quantité. J'a du mal à comprendre comment certains prétendent écrire des livres alors qu'ils en lisent si peu... Même si l'inventaire ci-dessous n'est sans doute pas exhaustif, il représente assez bien mes  distractions de l'année passée. 

Voici dont mes lectures, en classifications subjectives et de mauvaise foi, mais bien moins méchantes que les razzies de Bifrost.

Catégorie on ne me reprendra plus à lire de la fantasy grand public
Je me dis régulièrement que la littérature de rôliste pourrait me plaire, après tout j'en suis un moi-même. Mais je vois un peu trop bien les limitations de ce mode de pensées (encore que quelques uns y échappent assez bien, voir le livre de Cédric Ferrand, plus loin).
  • The Lies of Locke Lamora de Scott Lynch. On verra au bout du lien le mal que j'en ai pensé. Mais zut, comment peut-on considérer que ce truc a le moindre intérêt ? C'est du pur divertissement. Pas le temps pour ça. Spoiler. Je n'en reviens même pas qu'à la fin du livre, il sauve le président des états-unis de l'explosion d'une bombe atomique. Mince. Comment peut-on oser....
  • Téméraire, les dragons de sa majesté T1, de Naomi Novik. Lu sur la plage. Des dragons, les guerres napoléonniennes, des gentils officiers de marine britanniques. Des sentiments gnangnan et pas besoin de réfléchir. Du divertissement. Voir plus haut ce que j'en pense. Je n'en reviens même pas de la fin, ils rejouent le débarquement de 1944 (on me dit que j'ai spoilé. Oh zut).

Catégorie BD
  • Seuls, de Vehlmann et Gazzotti. Un vraiment bon moment de BD grand public, intelligente, au dessin agréable.
  • La petite fille de bois Caïman de François Bourgeon. J'adore Bourgeon, je lirais n'importe quoi de lui avec bonheur. Là, tout y est : des personnages, des belles filles, une documentation historique de dingue. Ah, il manque une vraie histoire ? C'est vrai. Bon, ça fera un Bourgeon raté.
  • V pour Vendetta, de Alan Moore & David Lloyd : on ne présente plus ce classique, relu sous prétexte d'organiser un jeu. Alan Moore est un prétentieux  insupportable. Cette série est un chef d'oeuvre. Ah, au passage, Cecci et moi avons aussi vu le film. Un bon moment de rigolade, coupé au bout de quarante minutes, tant de bêtise étant difficilement supportable.
  • Constellations, T1 & T2, de Daryl et Popcube. Aurait pu se ranger dans la catégorie suivante. Ai-je dit que David Calvo était doué? (on me susurre dans mon oreillette que oui)

Catégorie: les livres des copains
  • Chien du Heaume de Justine Niogret : un livre bancal mais attachant, très sincère.
  • Le garçon doré, de André François Ruaud : deux heures en compagnie des rêves d'une personne délicate.
  • W**** de Cédric Ferrand : je ne note pas le titre, le livre ayant été lu sur manuscrit. La preuve en tout cas qu'on peut être rôliste, écrire de la fantasy à clichés et faire de bons textes (même sans s'appeler Jaworski). (en tous cas, c'est mieux que Locke Lamora, dont je baille encore.)


Catégorie: vraiment très très bien
  • Stalker, des frères Strougatki. Je le redis. C'est très bon.
  • Les onze, de Pierre Michon. Lu, oserai-je le dire, sur injonction de l'excellent Daylon. OK, c'est français, c'est brillant, c'est court. Que des qualités.


Catégorie je ne sais pas où les mettre alors je n'en dirai rien de plus que ce que j'en ai déjà dit

Catégorie : je devrais les offrir à tout le monde.
  • Yama-Loka terminus + Bara Yogoï de Léo Henry, Jacques Mucchielli et Stéphane Perger: voilà un beau, très beau, gratuit et absurde projet d'imaginaire francophone, avec une vraie écriture et des sonorités originales. On me dit dans l'oreillette que c'est de la littérature de rôliste. En fait, oui, mais non. C'est juste très bien.
  • La Horde du Contrevent d'Alain Damasio : des milliers de personne l'ont lu avant moi pour vous dire la même chose. En fait, c'est un livre énorme. La première fois depuis longtemps que je vois ma femme incapable de lâcher un bouquin.
  • L'archipel du rêve, de Christopher Priest. J'en veux à Priest, il utilise mes rêves, mes fantasmes, mon imaginaire. Et il fait de bons livres avec.

Catégorie : hey, mais ce ne sont pas des lectures...
Je rappelle ici quelques activités liées à ce blog.
  • Cette année fut celle des podcasts, avec le pendu parlant dans un micro d'une voix sentencieuse. Ce fut intéressant, merci à A.C. de Haenne pour ses encouragements, je referai sans doute un jour quelque chose en ce sens. Merci à tous les lecteurs/auditeurs de votre soutien.
  • Cette année fut aussi celle de la parution de CLEER / Une fantaisie corporate, un livre que je ne critiquerai pas, ainsi que de son blog-à-deux-temps expérimental, transparence des relations. Merci à tous les lecteurs de ce dernier ainsi qu'au soutien de tous les défenseurs de la liberté d'expression. Votre nom sera marqué dans le marbre des siècles.

Et voilà, le roi est mort, vive le roi !
Pour 2011, j'ai commencé sur conseil de Hugues Robert la lecture des Soldats de la mer, de Yves et Ada Rémy. Je vous en dirai bientôt du bien en ces pages. Stay tuned on the line !