15 décembre 2016

And Then There Were None

Sur le conseil de David C., j'ai regardé la mini-série de la BBC And Then There Were None, adaptée des dix petits nègres d'Agatha Christie. C'est de la bonne came : bien écrite, bien jouée, intelligemment adaptée. Et pas trop longue (3 épisodes d'une heure).



La série est plastiquement très belle, avec une déco et des costumes années 30 magnifiques. J'avais lu le roman il y a longtemps, et si je me souvenais du principe (dix personnes ne se connaissant pas se retrouvent sur une île déserte et meurent les uns après les autres), j'en avais presque oublié le twist (qui est sans importance). 


La série est particulièrement sombre, les personnages sont hantés par des fantômes et par la culpabilité, ils marchent tous aux limites de la folie - on pourrait même trouver une explication fantastique au récit. La noirceur du propos m'a mis mal à l'aise, d'autant qu'on est à peu près certain du fait que même les personnages qu'on trouve sympathiques, à leur tour vont mourir.


Karim Debbache, dans le dernier Chroma, dit avec humour que cette histoire est un des premiers slashers. Il n'a pas tort.



14 décembre 2016

L'inclinaison – Christopher Priest

Sandro Suskind est compositeur. Il a grandi dans une ville bombardée par l'ennemi et grandi dans un pays pressuré par une dictature militaire. Sur l'horizon, visible de ses fenêtres, des îles qui, selon la dictature, n'existent pas: les îles de l'Archipel du Rêve, sur lesquelles il finira par faire une étrange tournée, au détriment de...
L'inclinaison (The gradual, en V.O.) est le troisième livre d'affilée que Christopher Priest consacre à l'Archipel. Il forme un élément d'une collection interne à l’œuvre de l'auteur, après le recueil de nouvelles éponyme et de l'excellente Fontaine Pétrifiante. Loin de l'expérimentation formelle des Insulaires (le récit en est simple et direct, à sa façon toute priestienne) et de l'angoisse étouffante de l'Adjacent, l'inclinaison développe cette émotion particulière de l'errance sur les navires et des découvertes de l'Archipel, qui faisait le charme tout étrange de la Fontaine pétrifiante. A travers les allers et retours du temps, la dérive douce du personnage principal a quelque chose de langoureux, comme une drogue un peu amère mais dont on ne saurait se passer. Les angoisses physiques et sexuelles des autres livres de Priest sont moins présentes, l'auteur nous fait partager une dérive agréable, placée sous le signe du temps et de la création.
L'inclinaison est un livre d'évasion, évasion de l'auteur, évasion du lecteur. Je n'ai pas encore trouvé le chemin pour accéder aux îles sans nombre de l'Archipel du Rêve, espace réaliste où se mêlent le subjectif et l'objectif, le temps personnel et le temps perdu. Je ne sais pas où on achète des billets pour la traversée, mais je ne désespère pas de trouver.

13 décembre 2016

All about Eve – Joseph L. Mankiewicz

Années 50, le milieu du théâtre new-yorkais. Margo Channing, une immense actrice, reçoit un soir une fan éperdue dont elle fait, par caprice, son assistante–secrétaire. Mais la première scène nous a montré que cette fan, Eve du titre, a reçu six mois après le plus grand prix que puisse recevoir un acteur... On va donc apprendre, par une série de flashbacks, comment on en est arrivé là.

Tiens, au fait, vous reconnaissez la femme en blanc qui joue un second rôle dans cette scène ? Elle n'avait pas encore percé, à l'époque...
Je n'en dis pas tellement plus: ce film est un classique, et il est un classique parce qu'il est génial, comme seuls savaient être géniaux les films d'Hollywood de ce temps. Parce qu'il est magnifiquement joué, parce que les femmes y sont incroyablement belles, parce que c'est superbement dialogué et tellement bien écrit. Le récit est vif, souvent très drôle, souvent profond, souvent cruel. Les personnages sont comme nous tous, à la fois humains et monstrueux. Et  Mankiewicz filme les femmes comme personne.





10 décembre 2016

Miss Poppins – au petit théâtre

Chaque année, en décembre, le petit théâtre de Lausanne sort sa super-production (à l'échelle du petit théâtre). Et cette année, ils s'attaquent à un mythe : un remake de Mary Poppins ! Il y a mille raisons de se planter en ressortant de son placard la nounou magique : le film de Disney et le sourire de Julie Andrews (et les chansons !) sont dans toutes les mémoires, notamment celles des enfants. Et personne n'arriverait à suivre sur ce terrain. La Divine Company, créatrice de ce spectacle, s'en sort superbement. L'histoire se passe de nos jours, le papa d'Emma élève tout seul sa fille après le décès de sa femme et la confie à une nounou pour s'occuper d'elle avant de rentrer du travail. Et Emma est insupportable, jusqu'à ce qu'arrive cette sorte de gouvernante anglaise qui...



Le récit respecte le code du récit de Mary Poppins : une gouvernante enchantée vient restaurer l'harmonie dans une famille aux relations tendues. La transposition moderne est très bien rendue : les relations du père et de la petite fille sonnent juste, que ce soit dans les dialogues ou dans la tension du père bien stressé par son travail de cadre sup' (architecte, en l'occurrence). Et le charme opère par la magie. Par un jeu magnifique de danses, changements de décors et prestidigitations, on assiste sur scène à toutes sortes d'opérations merveilleuses, depuis le sac où disparaît le parapluie, jusqu'à une forêt naissant depuis le sol de l'appartement, une plume volante qui se transforme en grande plume d'oie...


Les personnages secondaires sont très bien trouvés, depuis Anatole le vendeur de conversations, en passant par la belle-maman, Mrs Andrews, les ouvriers du chantier... Et l'excellent Tim: coiffeur, chauffeur, ouvrier, qui dégage une incroyable sympathie. De discrètes allusions sont faites au film, notamment à Bert, dont on devine qu'il est bien vieux maintenant. Si je devais faire un reproche au spectacle, c'est d'être un peu trop court: le contenu est tellement dense que les changements émotionnels des personnages paraissent parfois un peu forcés par le temps. On aurait aimé passer plus de temps avec eux, tant les acteurs les portent avec joie et énergie. Ce qui ne gâche rien, le spectacle est accompagné d'une musique originale et de chansons.
Une superbe création.



Au petit théâtre de Lausanne jusqu'au 31 décembre. Les représentations sont complètes mais il est parfois possible de s'inscrire sur liste d'attente

photos © Philippe Pache

08 décembre 2016

La petite maison dans la prairie T3 – Laura Ingalls Wilder

Je ne m'étendrai pas sur ce tome 3 de la petite maison dans la prairie, les souvenirs romancés de Laura Ingalls Wilder, car les qualités de ce volume sont les mêmes que celles des deux précédents : très bonne narration, sentiments finement décrits, impressions puissantes de la nature... On pourra se référer à mes deux billets précédents. Ici et .
Dans cet épisode-ci, situé six ans après le précédent (quelques évènements tragiques se sont produits pendant l'ellipse), on retrouve les Ingalls, toujours solidaires, endettés et fauchés, qui abandonnent leur maison du Minnesota pour s'installer le long du chantier de la voie ferrée, dans l'espoir de s'installer sur des terres nouvelles ouvertes par le gouvernement aux colons. L'ambiance est carrément western, avec ville champignon, types douteux, voleurs de chevaux, copine délurée pour Laura et une ambiance du tonnerre. Je retiens des scènes marquantes : celle du jour de la paye, effrayante, celle de la ruée vers l'ouest, celle des filles sur les poneys noirs, et la très belle scène de l'adieu des loups au Lac d'Argent. Laura est une jeune fille farouche, très attachante, qui ne veut pas grandir trop vite. Les parents font des choix, bons ou mauvais, sont toujours aussi solidaires. On croise l'alcool, les hommes qui parlent mal, les bandits... Mais on fête aussi, comme dans chaque volume, un merveilleux Noël en famille.

[Laura] aimait sentir la grande prairie sauvage tout autour de la petite cabane. Son cœur battait fort et vite ; Laura pouvait encore entendre le grondement féroce de la foule et la voix glacée de Papa disant : "ne vous approchez pas trop près!". Et elle se souvint des hommes et des chevaux en sueur avançant obstinément à travers un nuage de poussière pour construire la voie ferrée dans une sorte de symphonie. Laura ne voulait plus retourner sur le bords du ruisseau Plum.

Marguerite dit : "c'est vraiment dommage ce qui arrive à Jack".

05 décembre 2016

Il faudrait pour grandir oublier la frontière – Sébastien Juillard

Il faudrait pour grandir... est une novella de science-fiction publiée par les éditions Scylla. Novella veut dire un court roman, 111 111 signes exactement, une bonne lecture pour un court voyage en train, d'autant que dans ce cas vous aurez le voyage à l'intérieur du voyage. Le récit met en scène une poignée de personnages, Keren, soldat de l'armée israélienne, Jawad, ingénieur palestinien, Bassem, terroriste, et quelques autres, dans la bande de Gaza dans une trentaine d'années. 
Par le choix de son sujet, la densité du récit et de la caractérisation, Il faudrait pour grandir... est un petit bouquin très dense qui contient autant d'idées que certains gros romans. L'auteur a un vrai talent pour faire passer en quelques lignes des idées de SF étranges (comme la psycho-chirurgie) et des situations géopolitiques compliquées. C'est jouissif pour l'amateur de boissons fortes, ça pourra peut-être égarer ceux qui préfèrent plus d'explications. On est dans une SF à la Lucius Shepard (moins incarnée, peut-être), mêlant actualité géopolitique et sense of wonder.
Une semaine après la lecture, je retiens de belles atmosphères de peur et d'attente, et Keren, beau personnage de femme, autour de laquelle gravite ce drôle de petit récit. Et, plus littérairement, une certaine idée de la manière dont nos positions politiques sont construites à partir de récits de fiction auxquels nous avons envie de croire, très belle idée.
In fine, rappelons que comme tous les livres publiés par Scylla et Dystopia, ce petit bouquin est très beau – magnifique couverture, fabrication impeccable, un bonheur de bibliophile – et même pas cher (cliquez sur le lien, en haut de l'article). Et les amateurs de Yirminadingrad verront quelques ponts vers leur cité balnéaire préférée.



03 décembre 2016

The Expanse

J'ai enfin fini de regarder les dix épisodes de The Expanse



The Expanse est une série de science-fiction, située au 23ème siècle, alors que l'Humanité a colonisé le système solaire. Les personnages en sont attachants (un équipage sans attaches, un détective privé de la ceinture d'astéroïde...) et plutôt bien écrits même si les acteurs, comme c'est souvent le cas dans ce genre de production, les jouent de manière assez plate (une manière de voir si un personnage a de l'importance, c'est de compter son nombre de visages. Une expression: personnage mineur. Deux expressions: personnage moyen. Trois expressions: personnage majeur). Le scénario est à base de guerre froide entre la Terre et Mars, de bio-machins et de nano-trucs, sur fond d'émancipation des Belters, cette population plus ou moins exploitée vivant sur les asteroïdes et alimentant les autres en ressources.


Je ne crache pas dans la soupe: l'histoire est bien menée, est intéressante, a du rythme. Le scénario a remarquablement peu de graisse – j'entends de scènes de remplissage. Les personnages sont bien écrits, ont des réactions intelligentes et on se prend d'affection pour eux. La dimension politico-sociale de l'histoire est bien traitée. Le groupe de héros est un vrai groupe de PJs, incarnés par des joueurs pas trop lourds (les rôlistes comprendra là que je fais un compliment aux scénaristes).

 
La principale qualité de cette série, toutefois, n'est pas là: elle est dans la manière dont elle met en scène son univers, un des plus crédibles que j'ai vus depuis longtemps. La SF spatiale de The Expanse est à la fois impressionnante et un peu sale, les machines sont plus ou moins fiables, on imagine très bien la vie quotidienne à bord. Les conflits sociaux sont présents, les scandales sanitaires, les problèmes d'argent, les formes de société novatrices... (quelque part, cette série est l'héritière du premier "Alien", avec son vaisseau crado et ses prolos de l'espaaaace) 



Les petits objets de la vie de tous les jours (je pense aux "comm" qui servent de smartphones) sont très bien imaginés. Sur ce point, on se régale, on fait attention aux mille petits trucs "qui font vrai", comme les déformations physiques des Belters, les sièges anti-G, etc., etc.
Et moi, quand on arrive à me faire croire à la fiction, et à la science-fiction, j'applaudis des deux mains en apesanteur.  (et puis tiens, je vais me faire offrir les bouquins)


Remember the Cant !