25 avril 2017

Le vagabond des étoiles – Jack London

Quelles vies avons-nous vécues avant de connaître celle-ci ? Pourquoi sommes-nous incapables de nous en souvenir ? Existerait-il un moyen de forcer la mémoire à nous revenir ?
Darrell Standing a été condamné à la prison à vie. Enfermé dans les cachots de San Quentin, torturé par des gardiens sadiques et par un directeur incompétent. Standing est condamné à souffrir les horreurs de la camisole de force, qui compresse le corps, écrase les organes internes et crée une souffrance que rien ne vient soulager. Jusqu'à ce que, communiquant avec lui en cognant sur les murs des cachots de haute sécurité, un certain Ed Morrell lui glisse le secret de la mort temporaire, qui permet de s'échapper de son corps et de retrouver, en conscience, le souvenir de vies antérieures...
Le vagabond des étoiles (the Star rover) est un étrange roman, mais c'est avant tout une vigoureuse dénonciation, très politique, du système carcéral et des mauvais traitements qu'on y subit. Coups, tortures, soumission à l'arbitraire d'une direction hors de tout contrôle... London a basé son texte sur le témoignage d'un ex-prisonnier condamné au cachot, Ed Morrell. Il y déploie son art du conteur, dans un mélange de style journalistique et pamphlétaire. Et au-delà des tortures et des coups, il emmène le lecteur dans les vies intérieures (à lui de décider à quel point il s'agit d'une mémoire, à quel point d'une imagination) d'Ed Morrell/Darrell Standing, dans des récits qui sont autant de nouvelles mêlés à la trame générale du livre, qui nous emmèneront sur les mers ou bien dans la peau d'un enfant membre d'une troupe malheureuse de pionniers dans les années 1860...
Le vagabond est un double roman "à thèse", sur la condition carcérale et sur la métempsycose, ce qui n'aide pas à faire de la bonne littérature. A moins que l'auteur ne s'appelle Jack London, car parvient à partir d'une matière aussi difficile à construire un livre plein de souffle, de force et de colère, qui j'ai commencé un soir avec un peu de curiosité et que je n'ai pu lâcher avant de l'avoir fini. Torture des corps, luttes sociales, puissance de l'imaginaire et de la fiction...
Et le lecteur des littératures de genre ne manquera pas de rapprocher le thème du Vagabond et les récits de James Allison de Robert Howard. La mémoire des vies passées nous permet de nous souvenir d'aventures sanglantes et furieuses, remontant parfois avant les début de l'histoire humaine telle que nous la connaissons...

(Et il faut que je continue à lire du Jack London. Quel écrivain !)

17 avril 2017

Topkapi – Jules Dassin

Soient les années 60, couleurs acidulées, ambiance de fête foraine criarde. Soit un voyage à Istanbul, la dague du sultan ornée d'émeraudes magnifiques  gardée dans le palais/musée de Topkapi. Soit enfin une bande de voleurs très improbable. Les bijoux étincellent, les automates grincent, la police secrète turque (lunettes noires, fines moustaches) est sur le dents.
Topkapi est un film de casse, avec équipe bizarre (très foraine), rebondissements tordus et humour décalé. L'ambiance de cette histoire est unique, avec des acteurs bizarres (Melina Mercouri, Peter Ustinov...), pas du tout formatés - la variété des corps, des trognes, des faces dans ce film est stupéfiante. Le film est plastiquement étonnant, lumières et photos sont très réussies, on a beaucoup aimé l'ambiance particulière des lieux, entre la Grèce et Istanbul (dans mon souvenir, la Turquie y est bien mieux filmée que dans bons baisers de Russie, par exemple).


(oui, c'est Joe Dassin. Non, il ne chante pas.)





Le film se tient entre le bizarre, l'ironique et le wow. Et le casse tient toutes ses promesses.
(merci encore à David C !)

15 avril 2017

Network – Sydney Lumet

De temps en temps, on tombe sur un film  ancien vraiment génial dont on n'avait jamais entendu parler auparavant. Network en fait partie (merci David C. pour le conseil !).




On est donc dans les années 70, dans les locaux exécutifs d'une chaîne de télé aux audiences en berne, et le présentateur historique de la chaîne (brushing de cheveux blancs, voix posée) vient de se faire virer, et il le prend mal, au point de parler de se suicider sur le plateau. Il ne le fera pas, mais la nouvelle est tellement surprenante qu'elle attire les téléspectateurs et hop, l'audience remonte ! De quoi donner des idées aux hommes nouveaux et très dépourvus de scrupules qui veulent que la bête crache plus d'argent, d'autant que parmi ces hommes se trouve une femme, Diana Christensen (joué par Faye Dunaway, actrice que j'adore) qui est vraiment très, très... vous verrez en voyant le film.



Network est une satire violente qui ne nous paraît pas si satirique, vue depuis notre époque, juste sinistrement prophétique. C'est drôle, flippant, grinçant, très très bien écrit, très bien joué, du cinéma américain de grande classe, avec plein de scènes de bureaux, d'immeubles de verre, de réunions d'actionnaires, mais aussi des terroristes communistes, un prophète de l'apocalypse, du mysticisme corporate (ça ne vous rappelle rien?) et une étrange forme de démon aux yeux vides, entièrement façonné par la télévision.
I'm mad as Hell ! I can't stand it anymore !


14 avril 2017

Lune sanglante - James Ellroy

Je suis tombé sur cet Ellroy chez un bouquiniste. Et comme j'aime bien cet auteur (on l'aura vu ici, par exemple), je l'ai acheté.
On a donc, d'un côté, un tueur en série (très méchant et très habile). De l'autre, un flic un peu traumatisé mais tout à fait brillant, Lloyd Hopkins. Et comme terrain de jeu, Los Angeles, années 80. On va passer du point de vue de l'un au point de vue de l'autre. Il y aura de la corruption, des ambiances lourdes, des flics qui s'engueulent, un divorce, du sexe, de la drogue, de la corruption, on est chez Ellroy, on aura compris. L'ensemble donne un bon roman policier de flic courant après un assassin, mais pas un très bon roman, loin des chefs d'oeuvre que sont par exemple le Dahlia noir, ou le Grand nulle part. On reste dans un roman "ludique" (à sa façon horrible), un peu théorique, à l'exception de l'unique chapitre "historique", celui des  émeutes de Watts en 1965, qui est tout à fait brillant.
Par ailleurs, Ellroy est loin très loin d'être un féministe, or ce roman parle beaucoup de femmes, de féministes, d'homosexuelles, etc., avec une obsession assez lourde et un peu gênante. 
Bref, une lecture intéressante, un livre quand même pas mal, mais loin des œuvres majeures du même auteur.

10 avril 2017

Ceres et Vesta – Greg Egan

Soient deux communautés spatiales situées sur des astéroïdes, ayant besoin l'une de l'autre pour survivre. Soit un conflit politique local à l'une des communautés qui s'exporte et vient pourrir la vie de l'autre. Soit une crise qui s'envenime...
Cette novella de Greg Egan propose une situation qui rappellera d'autres situations connues de notre temps sans en rappeler aucune précisément, avec des communautés spatiales suffisamment petites pour que les choix et les responsabilités tombent sur les épaules d'un petit nombre d'acteurs. Bref, tous les ingrédients pour une authentique tragédie. Le récit est bien mené, souvent angoissant, le livre s'avale d'une traite, j'ai été effrayé par le déploiement de bêtise meurtrière qu'il décrit.
Pour revenir à la tragédie, je trouve toutefois que la dimension allégorique du récit le plombe, d'autant que Egan n'a jamais été très doué pour créer des personnages (a l'exception de ceux de Zendegi). La tragédie elle-même ne me paraît pas bien fonctionner : pourquoi Anna est-elle seule à prendre sa décision ? Où se trouvent ses chefs, son gouvernement ? Pourquoi n'a-t-elle pas enregistré ce qui se disait dans ses échanges avec le Scylla ? S'il y a bien une chose que j'ai apprise en milieu professionnel c'est que les décisions pourries se prennent à plusieurs. Par ailleurs, le problème politique développé dans l'histoire me semble un peu hors-sol, trop artificiel et rationnel pour être vraisemblable.
J'ai par contre été très séduit par les images développées par le roman, les semelles gecko, les lignes pour se déplacer, les convois de rocs gainés poussés à travers l'espace, le curieux jeu démocratique... Ca fait rêver. En fait, je voulais en savoir plus sur la vie dans les astéroïdes.
On aura compris que c'est un genre d'endroit que j'aime bien visiter depuis The Expanse (la série, pas le livre). On y retourne ?
PS: ces petits bouquins de la collection Une heure lumière sont vraiment jolis et plaisants à lire. Une belle réussite éditoriale !

07 avril 2017

Ghost in the Shell - Mamoru Oshii


A entendre parler du film avec Scarlett Johansson, Juliette Binoche et Takeshi Kitano (dont les images m'ont l'air bien jolies, et les personnages bien white-washés), j'ai eu envie de revoir le film d'origine, vu à sa sortie et pas vraiment revu depuis. J'en gardais un souvenir fort : des dialogues pontifiants et philosophiques, un scénario confus, des scènes d'action très marquantes et des moments planants sur la superbe musique de Kenji Kawai. 



Et bien mes souvenirs étaient plutôt justes. En fait, les scènes d'action sont si puissantes que même avec vingt ans d'écart, je les avais encore en tête. Les dialogues lourds sont là aussi, mais pas si importants, et le scénario n'est pas si compliqué, on sent juste que des scénaristes ont voulu faire entrer dans un film ce qui collait mieux sur un format plus long. J'ai surtout été émerveillé par les vues de la ville, les trips visuels techno-informatiques, les hélicoptères sous la pluie, les visions par l'intermédiaire de caméras, les gens qui se branchent des fils dans la nuque, les vitres qui explosent... Ce film déploie une poésie du futur (comme Blade runner et d'autres) dont je me rends compte qu'elle m'a habité depuis lors. Et, malgré ses défauts, Ghost in the shell est un grand film.



Lors du re-visionnage, j'ai été frappé par le traitement du corps du major Kusanagi. Elle apparaît souvent nue (dans très belle séquence du générique ou quand elle porte sa sorte de double-peau qui la rend invisible) et elle n'est pas attirante au sens conventionnel. Elle dégage autre chose, une forme de perfection physique et de puissance froide, comme si, malgré la couverture de chair artificielle, on parvenait à distinguer le cyborg. Et la scène où le robot se déchire et se détruit lors du combat contre le tank m'a pris aux tripes.


04 avril 2017

L'éveil de Léviathan – James S. A. Corey

Le lecteur se rappellera peut-être que j'avais beaucoup aimé la série The Expanse. Une SF spatiale qui faisait des efforts de crédibilité, montrait des objets et des détails de la vie de tous les jours et me plongeait dans un univers vraiment accrocheur. Par curiosité, je me suis tourné vers les romans à l'origine de la série, pour retrouver, par plaisir, ce qui m'avait plu à l'image et voir comment avait fonctionné le travail d'adaptation.
Je peux répondre clairement sur ce point : le travail d'adaptation a été excellent.
L'éveil de Léviathan est un gros roman feuilletonant, basé sur deux personnages : Holden, ancien marin terrien officier en second sur le Canterbury, un transporteur de glace, et Miller, un flic de Cérès, un des astéroïdes colonisés de la Ceinture. Les deux vont se trouver pris dans une intrigue bien plus grosse qu'eux avec pièges spatiaux, assassinats, vaisseaux en dérive, complots politiques, etc.
En fait, le roman est bien moins bon que son adaptation. Tout ce que l'image permet de deviner (structures politiques en place, jeux de pouvoir) est là, mais bien expliqué et donc beaucoup trop simpliste. Les personnages, notamment Holden et ses compagnons survivants du Cant, sont bien moins bien écrits que ceux qu'on voit à l'écran. Leurs relations sont simplistes, le personnage de Naomi Nagata est par exemple beaucoup plus faible que la fille incarnée par Dominique Tipper.
Le scénario est aussi assez faible, tournant à l'aventure hollywoodienne à deux francs (la fin du livre) avec gros pathos là où je m'attendais à quelque chose de plus fin et plus intéressant. Bref, tout ça n'est pas très bon. Pro, bien lissé, facile et amusant à lire, mais ne cassant pas trois pattes à un canard. 
La SF proposée par ce livre est une SF de distraction, se basant surtout sur l'aventure. Je suis frappé par exemple du peu d'imagination sociale et politique liée aux états spatiaux. J'attendais plus.
Je me demande si le livre ne porte pas les marques de son origine : un univers de MMO spatial (donc simpliste pour être facilement vendu) devenu un jeu de rôle par forum (donc groupe de persos bien typés). De fait, ce roman a tous les défauts de la littérature de rôliste. 
Sa plus grande qualité a été d'être transformé en une série télé réussie, pour laquelle ses défauts sont bien moins visibles. Mais maintenant que je connais un peu l'intrigue inspirant la deuxième saison de la série, je ne me sens plus très motivé pour la regarder.